Entretiens



Entretien de Louise Caron avec Alex, bibliothécaire,  à propos de Chronique des jours de cendre "Les points fixes dans le ciel de Chronique".


A : Comment t’est venue l’idée d’écrire un roman comme Chronique des jours de cendres ?

L : L’idée du roman ne s’est pas imposée d’emblée. Elle résulte de la lente transformation d’une œuvre écrite pour la scène, un puzzle tragique intitulé  Comme un parfum d’épices dans les odeurs de menthe [1]. En vérité, l’idée de développer l’argument de façon narrative, afin de pouvoir approfondir les personnages et les situations, émane du jury qui a sélectionné le texte en tant que lauréat du Prix d’Écriture théâtrale NIACA 2012. 

A : Revenons à l’origine, qu’elles ont été les sources d’inspiration de la pièce et par la suite du roman ?

J’ai été révoltée par le déclenchement du conflit Etats-Unis/Irak au nom des valeurs de justice et de liberté, en représailles des attentats du 11 septembre. Une sorte de loi du Talion travestie sous les prétextes d’élimination conjointe d’armes de destruction massive et du dictateur Saddam Hussein.  
J’ai assisté comme tout le monde au spectacle désolant de la dévastation des vestiges de la culture mésopotamienne, aux pillages, aux incendies de bibliothèques et de musées. 
J’ai conservé en moi ces images comme une sorte d’épine dans le pied.
Deux choses m’ont vraiment incitée à débuter l’écriture :



Photo issue du site http://www.farahnosh.com/portfolio/wounded-iraq/  


 - En premier, une série de photos de Farah Nosh intitulées Wounded-Iraq. Des clichés en noir et blanc, qui montraient sans complaisance des civils blessés, mutilés.





  - Ensuite, la lecture du Petit manuel de torture à l'usage des femmes-soldats  de Coco Fusco, un ouvrage extrêmement dérangeant. Il bouscule l’image qu’on a des femmes, présentées en général plutôt en tant que victimes de violences à caractère sexuel que comme agresseurs. Or, ce livre nous met face à une réalité, qui est l’utilisation par l’armée américaine de femmes et de leurs appas sexuels comme arme de violence — de torture — vis-à-vis d’hommes en situation de sujétion, en particulier des détenus politiques Irakiens. Cette double image de victime et de bourreau m’a amenée à réfléchir sur la place de la femme, de la mère, dans la reproduction des schémas établis et de leurs rôles dans les conflits. Cette idée a gouvernée l’écriture de la pièce puis du roman.

A- Quelle différence y a-t-il entre écrire une pièce et un roman ?

La différence porte essentiellement sur la complexité. Sinon, dans les deux écritures, on est assujetti au rythme de la phrase. La notion de rythme est très importante à l'oral mais ne doit pas être négligée à l'écrit, même si on adopte un rythme différent, un rythme non plus de respiration mais de compréhension. 
Après ce qui diffère est le motif narratif. Dans une pièce de théâtre les lieux sont évoqués dans les didascalies et la mise en scène campe les situations, l’imagination des spectateurs fait le reste. Dans l’écriture dramaturgique, tout passe par le langage, les sentiments des personnages et leurs actions scéniques.
Le roman exige, lui, de décrire les situations au lecteur. L’action est sous-jacente aux dialogues mais en dehors de l’auteur, nul metteur en scène ne sera là pour la dramatiser. On ne peut donc pas faire l’économie de ce travail description des sensations primaires, des sentiments, des répercussions des choix des personnages. En revanche, j’ai fait l’impasse la plupart du temps sur les descriptions physiques, sauf lorsqu’elles étaient nécessaire à la compréhension de l’histoire.
L’écriture un roman dont la toile de fond est véridique et historique, nécessite en amont un travail de fouilles. Ne pas écrire n’importe quoi au nom du romanesque.  Je me suis engagée d’abord dans une étape de compréhension des situations politiques et des parties en présence. Un long  travail de documentation. Je ne pouvais pas  me contenter d’indiquer : 2007, Bagdad occupée.  
J’ai lu des ouvrages sur la Mésopotamie, l’Irak, les minorités opprimées. J’ai découvert la naissance de l’Irak moderne sous la férule des anglais, puis la révolution et la dictature.
J’ai écouté les discours de G. Bush et lu des blogs d’opposants à la guerre. Je m’interroge depuis longtemps, comme Chomsky, sur la part de mensonge contenue dans le discours politique. Et là j’ai été servie.
Mais, plus que tout, ce qui m’intéressait dans la situation en Irak, au delà du conflit lui-même, c’était sa répercussion sur la vie des gens ordinaires. Il y avait matière à entrecroiser les trajectoires, entre les occupants et les occupés. Ceci supposait de donner la parole aux deux parties en présence. Et,  pour donner la parole, quoi de plus logique que de repartir de la pièce de théâtre. La boucle pouvait se boucler et l’écriture commencer.
J’ai eu encore quelques hésitations avant de me mettre à écrire. En particulier, parce que je ne trouvais aucun angle d’attaque qui soit satisfaisant. La question à laquelle je me heurtais était : Qui légitimement porterait l’histoire ? 
Je ne voulais pas d’un roman manichéen. Il m’importait de donner à voir au lecteur une situation brute, sans prise de position de la part du narrateur. Celui-ci devait pouvoir endosser aussi bien l’uniforme américain que le costume Irakien. Mettre face à face et dos à dos les deux parties. Et puis, il me fallait trouver comment ne pas réduire ce roman à une aventure guerrière, car cela va bien au-delà. 

Par hasard à ce moment-là, j’ai lu le roman d’Amélie Nothomb Une forme de vie, qui met en scène un GI lui écrivant des lettres d’Irak. Et comme un signe, quelques jours plus tard, je 
suis tombée sur la reproduction d’une huile sur bois que j’avais admirée à la Pinacothèque de Munich lorsque j’étais adolescente. Un de ces tableaux qu’on n’oublie jamais. Il s’agit de la Bataille d’Alexandre du miniaturiste Albrecht Altdorfer. Il a représenté au lointain la Palestine, le Sinaï, la mer Rouge et le delta du Nil. Un ciel annonciateur de tragédies s’étend sur une multitude de personnages qui forment la masse d’une armée en marche. Pourtant dans cet amas de soldats, chaque sujet est bien visible. On découvre là, une tête ; là, un casque ; un corps se laisse deviner, dérobé, absorbé par des milliers de corps. Chaque personnage miniature est une entité singulière, prisonnière de la foule compacte, simul et singulis.




           
C’est  alors que tout s’est mis en place. 
J’avais devant les yeux la représentation de ce que je voulais écrire. L’histoire, dans ce Moyen-Orient de tous les dangers, de personnages minuscules, de gens de peu. Chaque personnage dans le roman comme sur la toile est seul avec son passé. On devine que ce quidam a une famille, une intimité, un destin, et il est là tout petit, au milieu d’un GRAND TOUT —l’Histoire Majuscule — qui le dépasse, le détermine et dont on pressent qu’il va le broyer. L’évidence de la narration est née de cela. 
Les matériaux étaient là: les Etats-Unis et l’Irak, deux pays qui s’affrontaient. Mais derrière ces pays, il y avait des hommes, des femmes que l’on néglige. 
Eux aussi sont aussi en guerre. Ils subissent, quelque soit leurs idées personnelles face au conflit et à « l’ennemi », ils sont fréquemment contraints à l’engagement, la haine, la colère et le désir de vengeance font leur nid, progressivement ou violemment. Ainsi, les deux mondes à échelle humaine ne sont pas si éloignés et pourtant la guerre semble sans fin… 

On parle toujours à propos de ce roman du conflit américano-irakien, de la vengeance,  j’aimerai que tu abordes l’autre sujet majeur de Chronique, l’amour. 

En vérité, l’amour est peut-être le véritable sujet du livre. L’amour dans tous ses états : amour passion entre une jeune fille et un jeune homme qui va jusqu’au sacrifice de part et d’autre, amour filial, amour déçu, amour espéré, amour du pays, des compagnons, de la liberté… L’amour qui conduit à choisir la mauvaise voie, celle de la vengeance ou celle du déni. Avec la force, on n’arrête pas le mal, on le perpétue avait dit le père de Sohrab.
La plupart de mes personnages portent en eux un immense amour. Sohrab aime Naïm, son frère disparu, sa mère abattue, son père en lambeaux, elle finit même par ressentir une forme de passion coupable pour son ennemi. 
Je cite Sohrab en exemple, mais il en est de même pour Naïm, pour Zhouar, pour Niko… Dans Chronique l’amour mène la ronde.

Peux-tu expliquer ton choix de structure ?

La pièce et le roman sont construits comme un puzzle tragique. Un entrecroisement de destins, on devine que les personnages ne trouveront pas la route parsemée de roses dont parle Naïm, route qui mène au bonheur.  J’avais structuré la pièce comme un tryptique, un de retable. L’ensemble du tableau n’étant dévoilé qu’au moment où l’ouverture des panneaux latéraux libère le panneau central  qui devient visible. 
Seul le premier volet est évoqué dans Chronique. Les deuxième et troisième font l’objet d’un autre roman, une sorte de suite à Chronique des jours de cendre sous le titre Rumeurs du Mississippi édité Aux Forges de Vulcain et dont la sortie est prévue pour 2017.

Dans Chronique, j’ai travaillé sur une narration à deux voix qui se font écho sans le savoir. Cette construction rompt la monotonie et ne souligne pas tant des différences irréconciliables entre les peuples que des façons de résister à l’injonction générale et déshumanisante de la guerre. 
Le choix de cette choralité autorise au narrateur une prise de distance. Sa voix vient en contre chant à celles des personnages. 
J’ai choisi l’alternance des points de vue. Un chapitre relate l’histoire du point de vue de Sohrab et le suivant du point de vue de Niko Barnes, le soldat américain. Le lecteur (comme les personnages) se trouve par conséquent plongé au cœur du doute… celui qui ronge chacun des personnages. Il ne peut se forger aucune certitude qui ne soit remise en cause immédiatement. 
On passe aussi du calendrier grégorien, et du calendrier hégirien qui oppose deux perceptions du temps et reflète l’antagonisme culturel de deux mondes en lutte. L’Irak qui sombre dans la régression au gré des conflits successifs, et l’Amérique archétype d’un Occident qui avance sans discernement avec ses certitudes en guise de viatique.
On pressent dès le départ que les personnages finiront par être broyés, en dépit des penchants individuels, parce que dans un tel conflit, la personne ne pèse rien et l’amour ne suffit pas à faire triompher l’individu sur le collectif. Mais on espère que la sagesse finira par l’emporter…un jour. Mes personnages ne sont pas des héros, ils ne sont que de simples mortels (ce mot prend tout son sens dans le contexte)

Chronique des jours de cendre est très dialogué, théâtral. Un reste de la pièce ?

Oui, les dialogues occupent une grande place dans le roman. Ils m’ont permis de doter les personnages d’une voix, d’un vocabulaire, d’un langage propre, d’une musique que le lecteur (j’espère) percevra. Il est vrai que je suis très à l’aise dans le dialogue alors c’est peut-être une facilité.

Dans la pièce Sohrab a grandi dans une famille musulmane peu cultivée et dans le roman elle est issue d’un milieu chrétien orthodoxe, un père non pratiquant, virologiste. Pourquoi ce changement ?

Ce choix m’a permis d’éviter les clichés sur la femme musulmane, de montrer que la population Irakienne était plurielle, éduquée ou tribale. Et de mettre en situation des scènes qui démontrent la montée de l’islamisme politique, intolérance vis-à-vis des mariages mixtes, ghettoïsation des courants religieux. Une vision prémonitoire du sectarisme barbare qui s’est abattu sur le pays avec l’émergence de Daesh, courant radical Sunnite[2]. Et puis la profession du père m'a permis de mettre en place son élimination au moment de la recherche d'armes biologiques.

Considères-tu Chronique comme un roman difficile ?

Difficile non, c’est un roman accessible. Sa dureté viens du contexte, mais ce n’est pas le roman qui est dur, c’est la vie, également la littérature qui passe cette vie au prisme du style. Un des metteurs  en scène avec qui j’ai travaillé, Jacques Hadjage, disait qu’on ne fait pas du théâtre avec des bons sentiments. Le théâtre est un cri. C’est pareil pour l’écriture romanesque. Chronique des jours de cendre répond à cet impératif de dire le monde sans fard dans sa cruauté, son absence de résilience.  Mais, les lecteurs ne doivent pas avoir peur, ils peuvent y découvrir de belles choses, pas seulement de la violence.

As-tu été influencée par des auteurs, des lectures au cours de ton écriture.

Naturellement, je suis le produit de mes lectures. Autour de moi, comme des amis fidèles, les auteurs qui m’accompagnent depuis longtemps dans mes réflexions et qui constituent les points fixes de mon ciel. Ils m’aident trouver des réponses – pas toujours - aux  questions qui me traversent.
Pour Chronique, en dehors des lectures documentaires, je citerai Shakespeare, la tragédie d’Hamlet, vengeur de son père au mépris de sa vie et de son amour pour Ophélie. Corneille, le Cid, venger l’honneur au péril de l’amour. L’Antigone de Sophocle. La généalogie de la morale de Nietzsche, ressentiment des esclaves, aussi l’idée que chaque homme a besoin d’une connaissance de son passé pour se construire. Le voyage au bout de la nuit de Céline. Chez les écrivains américains, il y a Chomsky et son analyse du discours politique. John Steinbeck bien sûr, dont le roman Les raisins de la colère, constitue le livre de chevet du sergent Barnes, Hemingway. Mais aussi Yasmina Khadra, Boualem Sansal, le poète kurde Habas Haghighi et bien d’autres.

Tu as publié plusieurs pièces de théâtre, des nouvelles et Chroniques est ton deuxième roman. Que représentent pour toi ces différents types d’écriture ?

L’écriture qu’elle soit destinée à être interprétée ou à être lue est une façon de parler du monde. Il n’y a aucune incohérence à passer d’un genre à l’autre. Le roman est plus difficile à aborder parce qu’il nécessite un travail sur la durée, encore que parfois une pièce prenne aussi du temps à émerger. J’aime beaucoup le travail de fond que le roman exige, cette persévérance qui est une de mes qualités y trouve son compte.
Un fil conducteur traverse mes livres et pièces, c’est la question des choix existentiels. Je cherche à comprendre ce qui maintient le fragile équilibre de nos vies sur le fil étroit de la raison. Et ce qui m’intéresse particulièrement, ce sont ces instants précis où il est encore possible de faire demi-tour mais au-delà desquels l’existence basculera du mauvais côté.

Pour moi l’écriture, la peinture, la sculpture ou la musique ont des points communs. Les arts témoignent — chacun avec sa technique propre — du monde tel qu’il est, tel qu’il a été, ou tel qu’il sera.

Des projets ?



À la pelle ! Un roman intimiste en cours d'écriture, un autre en gestation qui prendra racine dans la guerre d'Algérie, à l'étape de documentation, des pièces de théâtre encore inédites à valoriser, l'une mettant en scène Camille et Paul Claudel, une autre sur la terrible maladie


d'Alzeihmer et une réécriture de Brève histoire de la grande pandémie. Corriger les épreuves des "Pavés de Syntagma" qui va sortir chez Lansman, rencontrer des comédiens et des metteurs en scène, des signatures et des salons du livre...
De quoi occuper les mois de l'hiver à venir.




[1] Publié dans la collection Écritures d’aujourd’hui, eds a Librairie théâtrale.
[2] Une très bonne analyse du roman a été faite par G. Mion sur le blog : http://www.juanasensio.com/archive/2015/09/14/chronique-des-jours-de-cendre-de-louise-caron-gregory-mion.html


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Interview de Louise Caron par le blog littéraire Le P'tit écrivain.


22 Juin 2013

Louise Caron, que nous avons eu le plaisir de revoir dernièrement, avec son mari Michel Caron (auteur de Qu'est l'espingouin devenu), à l'occasion du Festival de Théâtre en Aparté de Saint-Raphaël, a accepté de répondre à nos questions. Auteur de pièces de théâtre, de "Se départir" son premier roman, Louise Caron a été aussi co-lauréate en 2012, avec Laurent Vallerbe, du concours d'écriture théâtrale organisé par l'association NIACA dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes des Jeunes Auteurs de Théâtre.

LPE : Louise, où puisez-vous votre inspiration ?

LC : Je me laisse imprégner par les lieux. Ils dégagent souvent une atmosphère singulière qui enclenche le processus créatif ou qui le nourrit. Ensuite c’est principalement dans la vie quotidienne que je puise l’inspiration. Voir, entendre, mémoriser, digérer des situations puis au moment d’écrire retravailler ces matériaux bruts en les transformant pour leur donner du sens, du rythme, les infléchir pour qu’ils répondent à des situations qui engendrent des conflits, qu’ils laissent exfiltrer des sentiments. A ce moment-là, intervient le prisme de l’imaginaire. Les mythes sont aussi pour moi une source inépuisable d’inspiration, parce qu’ils sont fondateurs des civilisations. Ils sont transversaux, à la base de la culture humaine. On les retrouve pratiquement à l’identique dans tous les coins du monde. Ils reflètent, nos incertitudes métaphysiques, notre peur de la mort, notre façon de nous arranger avec le monde, l’inconnu, l’univers. Ils sont des repères qui permettent de nous situer dans l’espace et le temps.

LPE : Pourriez-vous nous raconter l'histoire de vos premiers pas dans l'univers du théâtre ?

LC : Cela remonte à l’enfance. Passionnée de théâtre classique, je passais mes jeudis aux matinées du théâtre Sarah Bernhardt ou de la Comédie Française à Paris. Je vibrais aux supplications d'Andromaque, à la tristesse de Chimère, j’admirais la soif d'absolu d’Antigone… Je rêvais d’être une de ces héroïnes. J’ai appris par cœur des milliers d’alexandrins !
En 1960, j'avais 12 ans, Jack Rallite, maire adjoint à l'éducation et à la culture de la ville où j’habitais, décide qu'il faut un théâtre à Aubervilliers "un lieu de plaisir et de culture partagée". Et Gabriel Garran, homme de théâtre, animateur et militant culturel entre en scène, relève le défi et s’installe dans cette banlieue en demande, avec le projet du théâtre de la commune qui deviendra CDN en 1971.
Avant que le théâtre s'implante dans les locaux de la salle des fêtes, et que des travaux soient entrepris, un festival est élaboré par Gabriel Garran avec René Allio et Noël Napo, il se tient dans le gymnase Guy Moquet où avec le lycée je viens faire du sport.
J’y reçois mon premier grand choc émotionnel et artistique avec Coriolan de Shakespeare. La proximité du lycée et du théâtre a permis des échanges, des ateliers, des rencontres avec les acteurs, les metteurs en scène, durant toute ma scolarité. De quoi soutenir mon envie d'être comédienne. Mais la vie en décida autrement. C’est seulement en ’83, (après avoir acquis un autre  métier, je suis aussi biochimiste), que je m’inscris dans une école de théâtre, le TEM, et que je vais me consacrer à la scène.

LPE : Votre formation de comédienne tient-elle une place importante dans le processus d'écriture de vos pièces ?

LC : Je pense que oui. Le comédien a d’abord un rapport au texte. Il travaille à partir des mots d’un auteur qu’il s’approprie pour les servir de sa voix, son corps, son intelligence, sa sensibilité. Le remplir de sa densité. Je ne dis pas qu’un auteur de théâtre doit forcément être comédien, mais il me semble que l’écriture théâtrale (tout comme la mise en scène) est facilitée par la pratique du jeu. On sait ce qui « fonctionne » en bouche, l’arrangement des sonorités, les mots à éviter… ce qui ne conduit pas impérativement un comédien à devenir un bon auteur. Il me semble aussi que l’interprétation aide à la construction écrite des personnages, à instaurer les rapports et la progression dramatique. Dans ma formation, j’ai suivi des ateliers d’écriture, par exemple avec Michel Azama, Jacques Hadjage tous deux comédiens, metteurs en scène et auteurs, aussi avec Philippe Ivernel, dramaturge, le spécialiste de Brecht en France (avec B. Dort qui lui est décédé).

LPE : Le thème de la famille, notamment les racines familiales, est récurrent dans vos écrits. Est-ce un thème qui vous tient à cœur ?

LC : Ce thème n’est pas particulièrement original. Il est récurrent dans la mythologie (Kronos dévorant ses enfants), dans le théâtre grec (La tragédie des Atrides, Œdipe…), dans les tragédies shakespeariennes (Hamlet, Lear…), chez Brecht (La noce chez les petits bourgeois…), également dans l’écriture contemporaine par exemple chez Jasmina Reza (Conversations après un enterrement…) ou Jean-Luc Lagarce (Le pays lointain…).
La cellule famililale présente un interêt du point de vue dramatique parce qu’en son sein se cristallise la plupart des conflits. Or, la théâtralité nait du conflit. Ce thème m’intéresse, il permet aux protagonistes d’être aux prises avec leurs problèmes intimes, dans des situations quotidiennes qui sont incluses dans de la grande Histoire à laquelle ils participent, parfois bien malgré eux.
Par exemple, dans ma pièce qui a été primée au NIACA l’an passé « Comme un parfum d’épices dans les odeurs de menthe », on rencontre trois familles. Chacune à sa manière est le reflet de la culture à laquelle elle appartient dans un pays donné à un moment précis de l’Histoire. Les enjeux entre les personnages sont fortement liés à ce contexte. 
Dans cette pièce, les pères sont absents. Les mères sont l’épine dorsale du texte. Ce sont elles qui élèvent leurs fils ou leur filles, elles portent la responsabilité de la reproduction des valeurs (bonnes ou mauvaises) de la société dans laquelle elles vivent. Elles ont le pouvoir de faire évoluer les choses. Le font elles ? Toute la question est là. L’attitude surprotectrice, voire castratrice de la mère de Niko, son idée de ce qu’un garçon doit faire ou pas, sa hantise du scandale, son racisme latent, maintiennent un jeune homme traumatisé par la guerre dans un état de dépendance inquiétant. Cette attitude prend tout son sens dans l’Amérique d’aujourd’hui, celle du politiquement correct, celle qui ne se remet pas de ses guerres « civilisatrices » et qui s’enfonce dans le désarroi économique. Cette Amérique-là n’a rien à proposer à une petite Rom ambitieuse de dix-sept ans, comme Miréla qui veut réaliser ses rêves de devenir une vraie artiste en dépit de sa mère, dans le deuxième volet de la pièce. Par ailleurs, il est à noter que cette jeune fille se fait des illusions en croyant pouvoir mieux s’épanouir à Paris… Quand à la troisème fille de la pièce, Sohrab, elle représente l’évolution de la femme arabe, le refus d’être « comme sa mère » soumise à la loi des mâles. En prenant part au conflit armé elle se hausse au niveau d’inhumanité des hommes et constate qu’une femme peut-être même plus barbare qu’un homme si elle joue de sa féminité pour ajouter à la cruauté. Il y a un glissement du rôle de la mère à celui de la femme en général dans les schémas de reproduction culturelle.
Travailler sur la famille aboutit souvent à un questionnement sur le déterminisme des sexes dans les fonctions sociales.
J’ai écrit d’autres pièces qui se situent au cœur de la famille : « La nuit de la Saint Sylvestre » un huit clos entre un père malade face à ses trois filles qui lui ont caché, depuis le 11 septembre 2001, la mort de leur frère à New-York. « Instantanés familiaux », qui met en scène sept frères et soeurs confrontés au décès de leur mère et à des révélations qui vont bouleverser le cours de leurs existences.
Des extraits sont consultables sur mon blog http://caronlouise.blogspot.fr/p/mes-textes-dramatiques.html  et sur la Théâtrothèque.
On retrouve aussi dans mes pièces le thème de la mort.

LPE : La spirale des mensonges est votre premier roman. Quel est selon vous le point de rencontre entre l'écriture romanesque et l'écriture théâtrale ?

LC : C’est une question qui revient souvent. L’écriture théâtrale et l’écriture romanesque ne sont pas aussi différentes qu’on l’imagine. La construction de base est identique. Une problématique, des situations qui permettent de traiter cette problématique et des personnages qui vont porter le conflit, tout ceci dans un style donné. La construction dramatique est assez semblable également, il faut privilégier le suspens pour garder en éveil l’intêret du spectateur/lecteur. Les personnages doivent avoir la même densité dans les deux cas. Pour moi, le rythme de la phrase passe avant tout. Pour le tester, je relis toujours à haute voix mes textes (théâtre ou roman) et si un mot ne rend pas la musique appropriée, je le change. L’écriture doit être musicale même quand on lit « dans sa tête ». Trop de mots tuent le sens, il faut alléger au maximum, ne garder que ce qui est pertinent. C’est un enseignement de l’écriture théâtrale.
Ce qui différe ce sont les descriptions des lieux et l’expression des sentiments. Au théâtre, l’auteur donne des indications sommaires dans les didascalies, par exemple « A la tombée du jour, un salon, lumière tamisée », la dramaturgie, le décor et la mise en scène ajouteront les éléments environnementaux pour créer l’atmosphère. Pour ce que je nomme « le conflit » et les rapports entre les personnages, au théâtre tout passe par la parole et le jeu des actions qu’elles aient été indiquées par l’auteur par exemple : « On sonne à la porte », qu’elles découlent des répliques par exemple : « Ouvre cette valise, si tu n’as rien à cacher », ou qu’elles émanent de la vision du metteur en scène – ce qu’on nomme les actions paradoxales – par exemple dans « Le partage de midi » de Claudel, Antoine Vitez, sans aucune nécessité, fait ramper le personnage de Messa indiquant par cette action sa déraison.
Pour l’auteur de théâtre, point n’est besoin de faire dire dans le dialogue « J’en tremble » ou « Lis l’angoisse dans mon regard » ; cela est du ressort de l’interprétation. Dans le texte à jouer on ne « fait » pas de littérature.
Au contraire, dans un roman, l’auteur doit mettre ses personnages en situation dans ce que j’appelle un paysage, et pour cela le paysage doit être décrit. Là encore, à mon avis, il faut être économe, décrire juste ce qui est nécessaire à créer l’atmosphère, ne pas brider l’imagination du lecteur, le laisser libre de se faire sa propre image. Pour moi, un roman est réussi quand au cours de la lecture j’ai suffisament d’éléments pour visionner dans ma tête « une version cinématographique intérieure ». A l’identique pour les sentiments, trouver le mot juste plutôt que la périphrase. Il faut privilégier le style. « Le style, monsieur… Ah ! Le style, il n’y a que ça. ». Voilà ce que disait Céline, l’inventeur d’un style qui a radicalement révolutionné la littérature. Chaque écrivain digne de ce nom possède un style personnel.   Phrases longues, phrases courtes, écriture très dialoguée ou descriptive. Cependant, il me semble qu’un auteur ne doit pas s’enfermer dans un style. De même qu’un comédien doit jouer chaque rôle différemment et disparaître au profit du personnage, un auteur doit être capable d’adapter son style au   propos qu’il traite. Trouver une « petite musique singulière » pour chaque roman, une langue et un rythme propres à chaque personnage. Le lecteur retrouvera forcément des tics d’écriture, des ambiances, des villes, des problématiques chères à l’auteur mais comme le disait justement Stendhal le meilleur style est celui qui se fait oublier. Il faut finalement se laisser guider par ses personnages.

LPE : Si vous deviez passer une journée dans la peau d'un des personnages de votre roman, lequel choisiriez-vous? Pourquoi ?

LC : Je choisirais François Benkébir, l’amant vaincu d’Eléonore. Pourquoi choisir ce personnage secondaire ? D’abord, parce qu’il apporte à l’histoire une dimension historique. Ses origines franco-algériennes, son enfance et sa jeunesse dans l’Algérie de la décolonisation lui confèrent une stature particulière, à la fois dans sa façon de se comporter et dans le regard que les gens portent sur lui. Il a développé une personnalité complexe qui réclame une « reconnaissance ». Ce n’est pas une reconnaissance comparative (je suis mieux que tel autre), mais une reconnaissance individuelle. Dans le roman, celle-ci lui est par trois fois déniée, par Eléonore qui refuse de le suivre, par ses grands-parents qui refusent de le recevoir et par Léa qui refuse la main qu’il lui tend.
Ce personnage montre une grande dignité devant ces refus. D’un point de vue philosophique, il veut être lui-même. Cela ne recouvre pas seulement la signification d’exister, il ne s’agit pas non plus pour lui d’exhiber son identité, il s’agit d’être reconnu en tant qu’être humain signifiant. C’est à la fois au niveau intersubjectif et disons au niveau politique que ce situe pour François le véritable enjeu. De mon point de vue d’auteure, cet enjeu est important dans la société actuelle où beaucoup de personnes souffrent d’un manque criant d’identité.

LPE : Vous êtes Eléonore. Quel conseil donneriez-vous à Louise Caron

LC : Je lui donerai trois conseils :

1- De ne pas enfermer ses personnages dès le début dans un carcan trop formel afin de leur laisser la liberté d’advenir.

2- De ne pas céder à la tentation de faire mourir les   personnages dont elle ne sait plus quoi faire et dont elle souhaite se débarrasser, bien que cela ne se soit pas produit dans SE DEPARTIR.

3- De tenter d’écrire un jour une comédie hilarante.

LPE : Quels sont vos projets ?

LC : Ils sont nombreux avec des états d’avancements différents.
Il y a la valorisation de Se départir dans des salons du livre. Le 4 aôut à Jaujac en Ardèche, en septembre au salon du livre Cèze-Cévennes et à Alès à la médiathèque en octobre. Ensuite au gré des invitations…
Au niveau écriture pour la scène :
- deux textes en chantier, et une idée derrière la tête dont il est prématuré de parler.

Au niveau de l’écriture romanesque :
 - un recueil de trois nouvelles intitulées « Des îlots d’errance » auquel j’apporte les dernières retouches avant de l’envoyer à des éditeurs. Ce sont trois histoires dans lesquelles les personnages voient leur vie basculer à un moment précis. Une réflexion sur le point de rupture, avec un Avant et un Après.

- une tentative de transformer la pièce « Comme un parfum d’épices… » en roman. Tentative extrêmement délicate qui se heurte à beaucoup d’écueils. Actuellemnt je me documente énormément sur l’histoire des guerres d’Irak pour sortir de l’anecdotique et donner une consistance à l’histoire. Je ne suis pas certaine d’aboutir.

- un roman qui se passe en hiver… dont je viens de commencer l’écriture et qui n’a pas trouvé de titre pour l’instant puisque La traversée de l’hiver a déjà été utilisée par Amélie Nothomb. Une histoire avec des blessures et des non-dits, un questionnement la possibilité de rompre définitivement avec son passé, sa famille, et comment vivre avec le poids d’une tache originelle.

Au niveau de la scène :

- Notre Cie théâtrale prépare un spectacle avec quatre comédien(nes) sur la guerre de 14-18 pour le début 2014, à partir de témoignages de textes, de lettres, tout ceci remis en forme avec des intermèdes que Michel et moi écrivons actuellement. Il y aura aussi un accompagnement musical, peut-être le groupe de musique de Laurent Vallerbe.
- De nouvelles lectures publiques à l’automne à Anduze d’abord, de « La loterie de la vie », de Laurent. Décidement avec Laurent on ne se quitte plus, on sera ensemble dans le jury à Cannes pour les Rencontres NIACA 2013
- Et toujours, nos cours de lecture à haute voix les jeudis soirs, et les ateliers théâtre que nous proposons tous les lundis soirs.
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Interview de Louise Caron par Christophe Gelé à propos de Se départir ou Le poids des mensonges
9 juin 2013
CG: Bonjour Louise Caron, tu es l’auteure de La spirale des mensonges, est-ce que tu peux nous présenter ton livre en quelques mots? 
C’est une histoire de famille, il y a une mère, une fille, un fils mort, un ex-mari qui est dans le coma [...]* et beaucoup de non-dits liés à la mort et en particulier à celle de Guilhem, le fils. A partir de là s’est installé du ressentiment et Éléonore qui est la mère, le personnage de la première partie, vient à Paris à la demande de sa fille pour voir son ex-mari qui est dans le coma. Elle est bloquée à Paris par une grève des trains et à partir de là, elle va errer dans la ville, découvrir une ville qu’elle n’a pas vu depuis vingt ans et les changements rédhibitoires qui s’y sont passés avec beaucoup de misère et des choses qu’elle découvre parce qu’elle habite dans un endroit relativement protégé.*Blanc du à la mauvaise qualité de l’enregistrementLa deuxième partie c’est Léa, la fille, qui est une fille très à vif et qui va nous parler pendant une nuit, va nous faire une confession et compléter ou démolir les éléments que sa mère nous a livrés dans la première partie.
CG: En tant que lecteur j’ai été vraiment très touché par l’expression des sentiments. Je me suis mis à la place de cette femme en souffrance mais d’une manière qui m’a presque dérangé tellement j’ai souffert et je me suis dit que ça parlait tellement vrai qu’il devait forcément y avoir une part d’autobiographie. 
Je suis désolée de te décevoir, il n’y a pas du tout de part d’autobiographie.
CG : Sache que ça ne me déçoit nullement, bien au contraire, c’est d’autant plus fort. 
Je n’aime pas beaucoup les livres autobiographiques où on livre comme ça, à nu, ses sentiments. C’est comme à la scène, il faut qu’il y ait un travail de l’imagination. Et ces personnages sont issus de mon imagination. Bien sûr, comme toujours, quand on écrit, on est confronté à des choses qu’on connait, on va puiser en soi aussi des choses, c’est à dire que les sentiments ne sont pas nouveaux. En revanche ni les situations ni cet excès, je ne les ai jamais connus.
CG: Un petit mot sur le style : des phrases hyper courtes, extrêmement concises, presque jamais de phrase de plus de quinze mots. C’est ton style ou c’est le style du bouquin ? 
Je pense que c’est mon style, j’aime bien la concision. Quand je lis des romans je trouve toujours qu’il y a trop de fioritures autour et que trop de mots finissent par tuer l’idée. Et puis ça vient aussi, peut-être, du style du bouquin. Il y avait une urgence à dire les choses après les avoir tues si longtemps, que ce soit dans sa tête pour la mère et encore plus pour la fille puisqu’on est dans trois jours pour la narration de la mère et dans une nuit pour la confession de la fille donc pour Léa il y avait une urgence à parler et le personnage n’est pas un personnage qui tourne autour du pot. A partir du moment où elle se livrait, elle ne pouvait se livrer que sans fard et avec des choses qui devaient jaillir.
CG :  A propos d’expression, tu fais du théâtre, tu donnes des cours de théâtre, donc l’expression théâtrale c’est quelque chose qui te connait. Je crois que Se départir est ton premier bouquin. Qu’est ce qui fait qu’à un moment donné tu te dises :  "tiens je vais écrire un roman", est-ce que l’expression par le moyen de la scène ça te semblait insuffisant.
 Non, ce n’est pas ça, c’est que j’écris pour le théâtre depuis longtemps, j’ai même une pièce qui a été remarquée et qui a reçu un prix au mois de septembre 2012 qui s’appelle Comme un parfum d’épices dans des odeurs de menthe. J’écris depuis longtemps pour la scène et je n’étais jamais passée au roman parce que je dois être flemmarde. Ça me paraissait long, ça me paraissait prendre beaucoup de temps. D’un autre côté, l’écriture et l’expression théâtrale sont des choses complètement différentes. C’est comme un peintre qui se mettrait à écrire, on ne peut pas comparer les deux, l’écriture et la peinture sont aussi deux choses différentes. L’expression théâtrale c’est utiliser les mots des autres et agir au travers des actions données par un auteur pour donner du plaisir au public et faire réfléchir. Mais l’expression dans un roman c’est aussi une communication avec les lecteurs sauf que quand on est au théâtre, la communication est directe, le spectateur est en face de toi et il faut que tu sortes tes tripes sans avoir à aucun moment le moyen de revenir en arrière alors qu’avec l’écriture tu peux gommer, tu peux te reprendre. En fait tout le travail d’équipe qu’on fait en répétition au théâtre tu peux le faire en permanence tant que ton bouquin n’est pas achevé et que tu ne l’as pas envoyé à l’éditeur.
CG: J’ai remarqué aussi que tu es très présente sur les réseaux sociaux. Est-ce que tu pense que c’est indispensable quand on est un auteur en 2013 ?
 Je ne l’étais pas, justement, avant d’écrire Se départir, juste un peu pour la communication via les mails pour ma compagnie et la compagnie de Michel (Caron, son mari). On travaillait un peu avec les réseaux sociaux mais pas énormément et puis à partir du moment où on a publié, lui l’ Espingoin ( Qu’est l’Espingoin devenu ?) et moi Se départir on s’est dit que si on avait envie d’être connus, il ne fallait pas qu’on compte uniquement sur Mon Petit Éditeur, sur leur attachée de presse pour l’être parce qu’ on a très vite compris qu’on ne sortait pas chez Gallimard ou chez Actes Sud et qu’on n’allait pas être propulsés du jour au lendemain par notre éditeur dans les médias donc on s’est dit : c’est bien de communiquer, les réseaux sociaux c’est une façon de le faire.Il y a une chose qui me gène dans les réseaux sociaux, surtout sur Facebook, c’est l’immédiateté. Ça a un côté sympathique mais ça a un côté dérangeant. Le côté sympathique c’est que tu as une communication directe et le côté dérangeant c’est que comme on est dans l’immédiateté, ce que tu as dit la veille n’est plus vu le lendemain. Il faudrait donc recommencer tout le temps ce qui est lassant pour les gens qui reçoivent tes pages mais si tu veux toucher de nouvelles personnes, si c’est paru trois jours avant plus personne n’ira les voir. Du coup je ne sais pas si c’est un bien ou un mal mais c’est une façon de communiquer moderne.
CG :  Est-ce que tu as d’autres projets en vue sur le plan de l’écriture ?
Oui, j’ai un recueil de nouvelles que m’a gentiment refusé Le Dilettante mais en me donnant quelques conseils et j’ai trouvé que c’était sympa puisqu’ils ne m’ont pas jetée comme ça, ils ont pris la peine de lire le livre puis de remarquer et de me faire remarquer les quelques défauts qu’ils avaient notés, qui ne sont peut-être pas les seuls dans le bouquin mais ceux qu’ils ont pris le temps de me notifier. Et du coup je suis en train de retravailler ce recueil de nouvelles.
CG  Donc tu es actuellement à la recherche d’un éditeur ?
 Je le retravaille et je vais le proposer cher POL. J’ai aussi un autre roman qui est en cours et qui me donne beaucoup de fil à retordre parce que je suis partie de la pièce Comme un parfum d’épice dans des odeurs de menthe et quand le jury m’a décerné le prix il y a eu une lecture, on m’a dit que c’était super, qu’il fallait en faire un scénario de film, un bouquin et puis je me me suis dit : pourquoi pas. Et c’est là que je me suis rendue compte de la différence entre l’écriture théâtrale et romanesque parce que, autant tu peux faire des erreurs en écriture théâtrale, parce que ce n’est pas gênant, c’est parlé. Autant tu ne peux pas le faire en écriture romanesque, autant il faut être documenté. Ça parle de Bagdad mais moi je ne connaissais pas grand chose de Bagdad à part la guerre en Irak et ça suffisait pour la pièce mais pas pour le roman. Du coup je me suis lancée dans une documentation assez exhaustive sur les guerres en Irak, sur l’armée américaine, sur la vie des Irakiens et la vie des Irakiennes surtout. Pour l’instant j’écris peu puisque je retravaille les nouvelle, je ne peux pas tout faire en même temps à la fois. Quand les nouvelles seront terminées je me consacrerai plus pleinement au roman.


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            Entretien de Louise Caron avec Gwen 
7 mai 2013
Lorsque Gwen qui tient le blog, les mots de Gwen, blog littéraire m'a demandée si j'accepterais de répondre à ses questions pour sa rubrique entretien avec des auteurs, j'ai répondu oui sans hésiter.

G1. Pour commencer, parlez-nous un peu de vous ?
Mon état civil en bref : née un 31 décembre, soir de Réveillon c’est probablement par esprit de contradiction que j’aime me coucher de bonne heure. Je suis mariée, j’ai deux fils. Trois petits-enfants sont venus agrandir la famille. En 2007, par choix mon mari et moi avons quitté Paris. Nous sommes installés dans le sud des Cévennes à deux pas de la bambouseraie de Prafrance.
Mon caractère : je ne suis pas compliquée mais je ne me laisse pas faire. Il paraît que j’ai le sens de l’humour. J’aime rire et pourtant, je suis incapable d’écrire des comédies. Je suis anti-conformiste. Je fréquente beaucoup de monde et pourtant mes vrais amis se comptent sur les doigts de la main.
Ce que j’aime : j’apprécie la solitude, paradoxalement j’aime la conversation. J’aime enseigner, transmettre, nager, lire au soleil, cultiver des roses, observer mon chat. J’aime le japon, l’art de l’ikebana, la peinture et la sculpture contemporaine, mes artistes préférés sont Egon Schiele, Matisse, Picasso, Harper, Modigliani, Camille Claudel. Gourmande de cuisine fine et de bons vins, je m’intérese à l’œnologie et aux arts de la table.
Je n’aime pas : les importuns, les poseurs, les "je sais tout", les perpétuels mécontents et l’étalage des richesses. Je déteste le vent violent, le froid, la neige.
Mes goûts musicaux : j’écoute de la chanson française à textes, Bernard Joyet, Agnès Bihl et parmi des chanteurs plus connus Brel, Brassens, Férré. J’aime aussi le blues et la musique renaissance et baroque. Mes préférences vont aux pièces pour violoncelle, ou viole de gambe.
Cet aperçu permet de comprendre que je suis éclectique.
G 2. Une question s'impose: si l'on se réfère à votre cursus - un doctorat en biochimie - nous pouvons nous demander pourquoi l'écriture ? 
Cela n’a pas de rapport. Encore qu’en cherchant bien on peut toujours tout rapprocher. Par exemple, j’applique à mon écriture une rigueur très scientifique. Mon parcours scolaire et universitaire fut assez atypique. J’avais envie de devenir comédienne ou médiéviste (comme mon personnage Eléonore dans Se dépatir.) Mes parents ne voulaient pas entendre parler d’art dramatique, trop précaire !
Après un bac de philosophie, j’ai préparé le concours de l’Ecole des Chartes, j’ai abandonné en cours de route, la sélection n’étant pas trop mon truc. Bifurcation vers un BTS d’analyses médicales ! Ne me demandez pas pourquoi. Le hasard des rencontres, le besoin de m’affranchir de ma famille en travaillant rapidement. Déception, le métier ne me plaisait pas. J’ai repris mes études, une spécialité en neurobiologie et un doctorat en biochimie. L’écriture de deux mémoires de thèse fut déjà un pas vers l’écriture. En même temps, je me suis inscrite dans une Ecole de théâtre pour réaliser mon envie de devenir comédienne. A partir de là, femme-orchestre j’ai mené de front les deux activités et ma vie familiale. Recherche scientifique le jour et le soir la scène. Dans les années 90, j’ai eu la chance de rencontrer Michel Azama au Théâtre de l’Est Parisien et de pratiquer avec lui des ateliers d’écriture. Ce fut le véritable déclencheur de l’écriture. J’ai compris que les mots permettaient de dépasser le réel. Depuis je n’ai cessé d’écrire pour le théâtre. Le roman est venu plus tard quand j’ai pu consacrer davantage de temps à l’écriture.
J’ai un peu dévié de la question. Pourquoi l’écriture quand on a une formation scientifique (mais pas seulement) ? Pour le plaisir, le besoin de matérialiser par des mots les idées qui me traversent, trouver la stratégie d’un espace-temps où les personnages puissent se poser les questions qui me préoccupent, et tenter de trouver des réponses aux comportements humains, laisser mon imagination travailler en  gardant l’esprit logique. Et finalement, le plaisir d’être lue, d’échanger et de faire réfléchir. Je suis heureuse quand un lecteur(trice) me dit s’être senti différent après avoir lu mon roman.
G 3. Vous souvenez-vous du premier roman que vous ayez lu ?Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas certaine à 100%. Dans les années 60, la littérature jeunesse était moins développée qu’aujourd’hui. Pour les gamins, il y avait la bibliothèque rose et verte. Les contes du chat perché de Marcel Aymé, la série du Club des cinq d’Enid Blyton. Ensuite on passait directement aux livres d’adultes. Il me semble que le premier vrai roman pour adulte que j’ai lu et qui m’a marqué est Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell ou l’Enfant de Jules Valès. Dans mon souvenir la lecture de ces deux ouvrages me paraît contemporaine. Je devais avoir une douzaine d’années.
G 4. Si vous deviez n'emmenez qu'un seul livre sur une île déserte, lequel serait-ce ? Et pourquoi ?
Voilà une question embarrassante pour une passionnée de lecture qui n’aime pas choisir. A première vue, je dirais le dictionnaire. Il contient tous les mots et leurs définitions, et sa lecture m’a toujours entraînée dans des voyages imprévus, dans des endroits inconnus, et des rêveries sans fin. Le déchirement serait de devoir abandonner Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline qui est mon ouvrage de cœur.
G 5. Quelle fut votre source d'inspiration pour écrire La spirale des mensonges? 
La question du ressentiment et de la mémoire me taraudait depuis plusieurs années. J’y pensais sans réussir à trouver le moyen de l’aborder. Je parle de la mémoire considérée non pas du point de vue des mécanismes de stockage et de rappel, mais du point de vue de la vérité. Quelle est la part de vérité et de mensonge conscient ou le plus souvent inconscient, dans ce qu'on emmagasine sous forme de souvenirs.
Ce sont les lieux qui m’ont d’abord inspirée (seuls éléments autobiographiques du roman) des lieux connus où j’ai mis en scène les personnages. L’île de Bréhat par exemple, que je connais bien. Un îlot de rêves et de souvenirs. Les îles sont des mondes en miniature, elles concentrent les passions, limitent les échappées, les déplacements et exacerbent les sentiments. C’était une évidence pour moi, c’est là précisément que le drame initial devait se produire, et par conséquent ce lieu deviendrait un lieu pour la mémoire des personnages.
Je me suis inspirée, pour mettre en scène Eléonore, du quartier de Paris dans lequel j’ai toujours vécu avant de déménager dans le Sud. Cela m’a permis d’écrire avec beaucoup de vérité sur les changements que je constate à chaque visite, sur l’inhumanité des grandes villes que l’on perçoit davantage quand on vit comme moi dans une région peu peuplée, où les gens sont assez solidaires.
Un peu avant d’écrire Se départir, j’avais relu un bouquin sur le SIDA datant des années 80, au moment où on pensait que l’épidémie ne touchait pratiquement que les homosexuels. Je me suis rendue compte de "l’infamie" que représentait aux yeux des autres la responsabilité d’être les  vecteurs de ce virus mortel. J’ai eu envie de traiter de l’intolérance par rapport à ce que les gens nomment  la normalité en matière de sexualité.
La peinture aussi fut une source d’inspiration, j’ai regardé beaucoup de gravures, de reproductions, et j’ai cherché quels étaient les peintres qui pouvaient donner du sens à mes personnages. Définir leurs caractères au travers de leurs goûts sans avoir besoin de les mettre en mots, d’en faire des descriptions. Idem pour leurs goûts littéraires. Choisir de faire lire des poèmes de Yeats au personnage de Thibaut me paraît parlant.
G 6. En tant qu'auteur, quel regard portez-vous sur la littérature d'aujourd'hui ?
Je suis effrayée par le nombre grandissant de livres publiés. Par le fait que le livre puisse devenir une marchandise comme la lessive que l’on vend à coup de campagne publicitaire en supermarché. Il me semble que cela favorise les livres plébiscités par le grand public. Ceci dit le nombre des ventes n’est pas synonyme de livre facile. Petite Poucette, le nouveau livre de Michel Serres, philosophe des sciences, s’est vendu déjà à 100 000 exemplaires. Certes on est loin des chiffres de Cinquante nuances de Grey la romance érotique de E. L. James. Aujourd’hui comme hier la littérature produit de bons et de mauvais ouvrages. Il y a en davantage sur le marché, le roman prend diverses formes, fantaisy, romance, vampires, toute une littérature spécialisée, en plus des romans des auteurs connus comme Modiano, Nothomb, Auster, Kennedy… sans oublier Marc Lévy (que je n’aime pas)… Le plus étrange (et décevant) c’est que dans cette masse de livres, le style soit si pauvre,voire quasi absent et tellement uniforme. A part quelques-uns par exemple l’art français de la guerre d’Alexis Jenni ou La maison des anges de Pascal Bruckner, les livres sont pleins de bons sentiments et de consensualité. C’est bien écrit mais le plus souvent sans surprise et sans style. A quand un auteur aussi inventif que L.F. Céline ?
G 7. Avez-vous des projets pour un avenir proche ?
Je suis en train de terminer un recueil de trois nouvelles. Des îlots d’errance est le titre présumé. J’ai une pièce de théâtre La voix des machines et un roman en chantier. Ce dernier étant une transposition d’une pièce que j’ai écrite l’an dernier intitulée Comme un parfum d’épices dans les odeurs de menthe.Le travail est plus difficile que ce que j’avais imaginé au départ, car un texte à jouer permet des ellipses que le roman interdit. De temps en temps je publie quelques extraits de mon travail d’écriture en chantier sur mon blog dans la rubrique "Avant-goût". Actuellement côté scène, je fais une pause après avoir joué un an La ménagerie de verre  de Tennessee Williams. Je travaille sur un projet de mise en scène de textes ayant trait à la guerre de 14. Une satanée boucherie qui aura cent ans l’an prochain
G 8. En dehors de la scène et de l'écriture, quels sont vos loisirs 
La scène n’est pas un loisir, c’est mon activité principale avec l’enseignement de l’art dramatique. Dans le temps qui me reste libre, je m’occupe de mon jardin, je marche, je fais des photos, je vais au théâtre et surtout je lis.


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